Aujourd’hui, il nous semble opportun de faire le point sur ce thème, de tirer les enseignements des expériences, et d’intégrer les dernières avancées scientifiques.
Ces deux points se rejoignent : pour qu’une compensation soit supposée efficace, donc réelle, il faut réunir au minimum deux conditions :
Ø Que l’on puisse prouver que le projet financé par des fonds provenant de collecte des programmes de compensation soit simplement… efficace.
C'est-à-dire qu’il y ait réellement économie de production de GES. La quantification de cette économie et le fait qu’elle perdure dans le temps constituent deux éléments essentiels ; mais ils sont difficiles à évaluer, et surtout garantir.
Ø Que le principe d’additionnalité soit absolument respecté ; c'est-à-dire qu’il faut être certain que le projet financé, non seulement va permettre une économie d’émissions de GES, mais que cette économie n’aurait pas pu exister sans que le projet soit (co)financé par le programme de compensation.
Techniquement, l’évaluation de la pertinence de la mesure compensatrice doit donc répondre à cinq questions, cinq difficultés :
Le consommateur ne dispose que d’un seul élément lui garantissant le bon emploi de sa contribution : le certificat MDP - ou Mécanisme de Développement Propre. Totalement indépendant des prescripteurs, des vendeurs de projets, des réalisateurs de projets, ils sont définis et attribués par la Convention-cadre des Nations-Unies sur les changements climatiques (CCNUCC). C’est à ce jour le seul moyen de s'assurer qu'un projet « générera » réellement des GES non émis.
Ainsi l’ONU valide t-elle des projets, qui sont sur le marché, en délivrant des certificats. C’est à dire que les porteurs de projets validés ont des quotas de crédits carbone qu’ils peuvent vendre (ce qui les aide à développer leur projet) à un opérateur en compensation carbone, celui à qui vous (ou l'agence de voyages) allez acheter la compensation de votre voyage (ou de vos déplacements quotidiens et/ou le chauffage de votre habitat).
Le protocole est lourd, mais il est la garantie du meilleur emploi possible des crédits vendus. Il est donc évident que la compensation (volontaire ou non !) s'accommode mal de petits projets.
Parce que l’opérateur préfèrera choisir ses fournisseurs qui lui vendront des tonnes de carbone liées à des projets plus ou moins sérieux, donc bon marché, suivant les différents niveaux de certification (CER, VER, ou... aucun d’entre eux ! cf. infra). L’important sera ce que retient le client.
Voyager en avion : que nous disent les chiffres et les offres des voyagistes ?
Dans la perspective d'un véritable développement soutenable, chaque humain ne devrait pas dépasser un quota de deux tonnes par an, pour tous les aspects de sa vie (nourriture, chauffage, déplacements, consommation, déchets). C'est, grosso modo, l’empreinte écologique.
Un vol en classe économique Paris / New York émet 2,56 tonnes.
Peut-on « optimiser » sa distance de vol ?
Prenons le cas d’un axe Paris – Marseille – Djanet (Algérie), 3 villes presque alignées. En théorie, un vol Paris - Djanet produit 1,23 T de GES par passager, alors qu’un Marseille - Djanet en produira 0,95 T (source ADEME – incertitude 20%). Le TGV reliant Paris à Marseille étant en comparaison négligeable, on peut considérer que voler de Marseille vers le sud plutôt que de Paris est une bonne affaire climatique. Mais à une condition : que le vol de Paris soit supprimé. Ce qui dépend du choix de chacun.
Le trajet effectué en TGV ne pourra donc dédouaner la conscience du voyageur que si une grande majorité fait ce choix, permettant à l’avionneur de ne proposer que le vol de Marseille.
Les vols courts
Les offres de programmes de compensation (du voyage dans son entier) des voyagistes sont variées ; exemples :
Ø Un organisme de développement en pays émergents propose que le montant de votre compensation soit effectivement affecté à des projets de développement, dont la part énergétique peut être mineure, mais assez clairement définie.
Ø L’alimentation d’une fondation, créée pour l’occasion, par un opérateur ; il garde le contrôle des sommes versées par ses clients, dans une transparence toute relative. Les fonds sont déclarés destinés à un programme de reforestation.
Les modes de collecte varient eux aussi :
Ø Le montant à compenser (calculé comment ?) est intégré au forfait ; il est possible ou pas de le retrancher
Ø L’adresse d’un organisme de vente de crédit carbone est fournie, avec le montant à compenser
Nous voyons donc que les offres sont liées, d’une manière ou d’une autre, et dans la plupart des cas, à une offre captive et/ou pire, peu lisible.
4/ [V.V.E.] insiste pour dire que la compensation, volontaire ou obligatoire, n’est pas un passeport pour polluer en toute bonne conscience ; et ne peut permettre l’économie d’une réflexion sur nos modes de consommation des transports.
Nous voyons que réfléchir sur les mécanismes de compensation carbone mène tout droit à une réflexion sur nos modes de déplacement… qui relève de la quadrature du cercle.
Alors instrument de bonne conscience ? Grâce aux outils de calcul, la compensation carbone ne sert-elle qu’à rendre invisibles les nuisances engendrées ? Comment penser que dépenser 50 € en plus de son voyage va effacer celui-ci ? Serait-ce si simple ?
On peut se le demander dans la mesure où la plupart des programmes qu’ils soutiennent ne garantissent ni contraintes ni vérifications susceptibles d’être exigées.
Mais faut-il demander à un voyagiste de compenser nos propres trajets en avion (ou le forfait complet) ? Il n’est pas propriétaire des avions et de leurs nuisances ; il ne fait qu’incorporer à son forfait un service que demande le consommateur. Il incombe donc au consommateur de se renseigner, et de juger lui-même, par une démarche volontaire, s’il doit essayer de compenser ses déplacements en avion, et acheter ce service à l’opérateur qui lui semble le plus pertinent. Cela éviterait les offres sans valeur, à la fois juge et partie, et la récupération de la réflexion, par les opérateurs touristiques, qui ont intérêt à « verdir » leurs activités. Et surtout à éviter que chacun ne se détourne des voyages utilisant l’avion. Notons que les programmes de cumul de Mile’s sont plus visibles encore dans la communication ; poussant à consommer, ils sont plutôt en contradiction avec une réduction de nos GES.
Le coût des voyages n’a cessé de baisser, comme nous l’avons montré dans un article consacré au sujet ; et cela est en grande partie dû au prix des trajets aériens orientés à la baisse depuis des décennies, en particulier sur les destinations moyen courrier. Cela induit un plus grand nombre de voyageurs en avion (+ 6% par an depuis 20 ans), et la multiplication des vols sur une année pour de nombreux clients (2 milliards de passagers cumulés chaque année – source IATA).
Les outils, comme le Bilan Carbone® de l’ADEME, permettent d’évaluer le poids de GES généré par une activité humaine donnée ;
Revenons sur la compensation par les projets de (re)forestation :
En proposant des projets de reforestation dans le cadre d’une compensation (bois en échange de pétrole consommé), on cherche à mettre en parallèle, des cycles de carbone différents, qui ne sont ni synchrones, ni de même nature.
Le carbone issu du pétrole (cycle dit passif) a mis des millions d’années à se constituer à partir de végétaux dans les profondeurs du sol (en l’absence d’oxygène donc sans libération du CO2 à ce moment). Le cycle de vie d’une forêt va se dérouler à l’air libre (cycle dit actif) ; son bilan est neutre puisque le carbone stocké sera libéré, que ce soit par le feu ou par la décomposition.
Si les conditions de cette reforestation sont au moins aussi importantes que le fait de reforester, on peut considérer que c’est une bonne action (pour des populations, la biodiversité, etc.). Pour autant il est difficile de faire passer ces actions pour de la compensation carbone. Notre premier article consacrait tout un paragraphe au sujet. Aujourd’hui, l’augmentation de la température moyenne de 2° C ne fait pas de doute ; les conditions biogéographiques vont changer. Et on ne peut à l’évidence pas planter aujourd’hui des arbres adaptés au climat de demain. Redisons qu’une forêt arrivée à maturité rejette autant de CO2 qu’elle n’en séquestre.
Et par-dessus tout, il faudrait être sûr que la forêt n’aurait pas poussé naturellement, selon le principe d’additionnalité que nous retrouvons une fois encore.
Nous voyons, sur le principe même, qu’il est quasi impossible que cette solution réponde réellement à tous les critères énoncés supra.
Alors pourquoi les programmes forestiers ont-ils tant de succès, du moins dans l’offre ?
Si ce moyen est le moins sûr, c’est aussi le moins cher à mettre en œuvre. Et il est plus facile de communiquer sur des hectares que des kilowatt/heure immatériels. Ce lien à la terre est aussi culturel (l’arbre racine, « la terre, elle, ne ment pas », etc.). Difficile de ne pas penser que l’on privilégie la communication, l’occupation de l’espace du débat, le verdissement grâce à forêt…
Ce débat sur les compensations carbone tend à montrer que l’on cherche des mécanismes de régulation, sans se donner les moyens d’action. Lesquels relèvent aussi de la législation, des autorités de tutelle et de leurs choix politiques.
Peu de voyageurs sont informés du fait, par exemple, que depuis une décision datant de l’après guerre, visant à promouvoir le transport aérien, vecteur de croissante, le kérosène n’est pas soumis à la taxe sur les carburants (la fameuse TIPP, qui représente 60 % du prix de l’essence à la pompe, et qui rapporte 25 milliards d’Euros chaque année). Le prix de nos billets d’avion s’en trouve anormalement minoré, faussant au passage la concurrence (la ligne de défense des affréteurs est que ce carburant est souvent exporté). Le transport aérien ne fait toujours pas partie du marché des quotas internationaux.
En résumé, le financement de programmes de compensation d’émissions de GES devrait se limiter à deux domaines, l’hydraulique et l’efficacité énergétique. Eux seuls répondent aux critères permettant, au mieux, de s’assurer de la conversion de votre argent en non émission de GES. Il faut pour cela qu’ils soient certifiés par le mécanisme des MDP. Les certificats type VER ne sont pas, à notre sens, suffisants.
Il est indispensable de différer le moins possible la compensation dans le temps ; plus le temps entre l’émission des GES et les effets d’un projet visant à les compenser sera court, plus crédible et effective sera la compensation. L’idéal serait d’ailleurs de financer d’abord des projets, et dépenser ensuite une sorte de crédit carbone individuel…
L’additionnalité restera toujours la pierre d’achoppement de tout projet : comment prouver a priori, donc sur un scénario spéculatif, que le projet n’aurait pas eu lieu sans votre apport ? Alors que vos émissions de GES, elles, auront bien eu lieu.
Combien coûte une compensation chez un opérateur qui ne vend que du crédit carbone CER/MDP ?
Votre vol Paris / Conakry (vol direct) vous « coûtera » 2,04 T, soit l’empreinte écologique annuelle acceptable par terrien.
CO2logic 54 €
Pour information, Action Carbone vous vendra 41 € la même compensation, mais sur des projets VER ; les VER (Verified emission reductions) ne sont pas attribués par l’ONU, mais sont un accord entre le porteur de projet et l’organisme, ce qui est très différent.
Comparons les émissions de GES entre les différents moyens de transports (source ADEME) ; si nous prenons par exemple 2000 Km :
1/ la réduction de nos émissions individuelles de GES doit s’aborder globalement,
2/ les importations massives de nos biens de consommation sont une externalisation des émissions de GES.